Parti de rien, lâentrepreneur Michel Ohayon a bĂąti un vĂ©ritable empire dans lâimmobilier commercial, lâhĂŽtellerie de luxe, les grands crus. Depuis son ïŹef Ă Bordeaux, lĂ oĂč tout a commencĂ©, le self-made man devenu grande fortune de France nous parle de ses dĂ©buts et de ses nouveaux projets
Sauvetage de la Grande RĂ©cré en pleine agonie il y a bientĂŽt un an, acquisition du monumental palace ottoman Waldorf Astoria de JĂ©rusalem moyennant 160 MâŹ, ou encore pluie dâinvestissements dans lâĆnotourisme couronnĂ©e par le rachat du trĂšs prestigieux ChĂąteau Trianon Saint-Ămilion grand cru⊠On pourrait croire que Michel Ohayon est atteint de ïŹĂšvre acheteuse ! Le patron de la FinanciĂšre immobiliĂšre bordelaise (FIB) assume ses ambitions de construire une stratĂ©gie globale dans les vins, les palaces et lâimmobilier commercial.
MĂ©diatiquement discret, ce pragmatique voit son nom Ă©merger dans la presse Ă lâoccasion de classements des grandes fortunes de France ou lors dâopĂ©rations ïŹnanciĂšres dâenvergure. Michel Ohayon, qui gĂšre 2 milliards dâeuros dâactifs dans une vingtaine de villes en France et Ă lâĂ©tranger (Royaume-Uni, Italie, CanadaâŠ), nâa pas de temps Ă consacrer aux mondanitĂ©s.
Quand il prend la parole, câest pour dĂ©fendre une cause qui lui est chĂšre : « La rĂ©habilitation de la figure de lâentrepreneur », malmenĂ©e selon lui dans lâHexagone. Ces derniers temps particuliĂšrement. « Les entrepreneurs ayant rĂ©ussi sont beaucoup dĂ©criĂ©s aujourdâhui », introduit-il. « Mais quâest-ce que ça veut dire dâĂȘtre riche ? Un riche, câest un homme ou une femme dâaffaires qui prend des risques, qui crĂ©e de la richesse, ce sont des personnes qui ne dĂ©connectent pas en vacances et qui ont plĂ©thore de soucis occasionnant bien des nuits blanches ! » tĂ©moigne-t-il. « Dans notre pays, lâentrepreneur nâa jamais Ă©tĂ© admirĂ©, ni encensĂ©. Et maintenant, il cristallise beaucoup de passions, de crispations », se dĂ©sole lâautodidacte.
Self-made-man
Michel Ohayon ne sâestime pas « illĂ©gitime » pour tenir ce genre de discours, car il nâest pas « un hĂ©ritier de plus ». Son empire, il se lâest construit brique par brique, quand ses valeurs familiales ont jouĂ© le rĂŽle de ciment. « La volontĂ©, le travail acharnĂ© et le respect, tels sont les prĂ©ceptes que jâai hĂ©ritĂ©s de mes parents », conïŹe t-il. DĂ©bordant dâambition, le jeune Ohayon veut se faire un nom dans sa ville, Bordeaux, oĂč il faisait dĂ©jĂ bon vivre. Il a le talent, Ă lui de faire preuve de crĂ©ativitĂ© pour lâexprimer.

ArrivĂ© enfant du Maroc avec ses parents, en 1964, Ă MĂ©rignac, Michel Ohayon embrasse, comme eux, la carriĂšre de commerçant. Ă tout juste 22 ans, il ouvre une premiĂšre boutique de vĂȘtements sous la franchise Daniel Hechter dans le centre commercial du quartier MĂ©riadeck. Il ne tardera pas Ă la rentabiliser grĂące Ă son sens du commerce et Ă sa verve qui captive le chaland. Il Ă©tend sa toile rapidement jusquâĂ ouvrir 15 magasins et employer 150 salariĂ©s. « Jâai compris la pertinence dâinvestir dans les immeubles Ă potentiel, puis dâaller convaincre des chaĂźnes de vĂȘtements de venir y installer une boutique », dĂ©veloppe lâhomme dâaïŹaires. Imparable dans le Bordeaux de la ïŹn des annĂ©es 80 et de la dĂ©cennie 90 quand lâimmobilier nâavait pas encore atteint les sommets dâaujourdâhui.
Les banques le suivent car des grands noms de la distribution occupaient les lieux. Ce boulimique est en train dâacquĂ©rir une partie non nĂ©gligeable de lâune des artĂšres les plus dynamiques de la capitale girondine : la rue Porte-Dijeaux. SacrĂ© ïŹair ! Mais pas que. Michel Ohayon a toujours dĂ©vorĂ© les biographies de businessmen Ă succĂšs pour parfaire son Ă©ducation entrepreneuriale. « De Trump Ă Steve Jobs, jâai consommĂ© sans modĂ©ration toutes ces bibles dĂ©diĂ©es aux esprits visionnaires et parfois clivantes. TrĂšs tĂŽt dans mon parcours, jâai voulu comprendre la clef de leurs rĂ©ussites », partage-t-il.
Ses lectures aideront Ă bien des dĂ©cisions. Ainsi, lorsquâil dĂ©cide en 1999 dâacquĂ©rir un joyau en dĂ©shĂ©rence, le Grand HĂŽtel de Bordeaux, il est David face Ă Goliath. Câest lâinïŹuent notable bordelais, ClĂ©ment Fayat, qui incarne le redoutable personnage biblique. « En parcourant un jour sa biographie, jâai dĂ©couvert quâil ne surenchĂ©rissait jamais face Ă des institutionnels ou Ă des fonds dâinvestissements. En revanche, câĂ©tait un franc-tireur quand il sâagissait dâaffronter un entrepreneur. Pas question pour lui de se laisser devancer par un jeune tĂ©mĂ©raire sur ses terres de Gironde. Jâai donc mandatĂ© mon avocat pour quâil sâaffiche comme le reprĂ©sentant dâun institutionnel dans le but de remporter la vente. JâĂ©tais prĂȘt Ă sortir le chĂ©quier car je voulais absolument cet hĂŽtel mythique voisin de chaussĂ©e du Grand Théùtre. CâĂ©tait une belle endormie », se rappelle Michel Ohayon. Pour lui, il faut avant tout comprendre la psychologie de ses pairs : « Un prĂ©alable pour affĂ»ter sa stratĂ©gie. » La vente aux enchĂšres quâil dĂ©croche le propulse dans la cour des grands Ă Bordeaux. Lâhomme se sait Ă©galement « scrutĂ© » au plus haut niveau par lâemblĂ©matique Ă©dile de la ville, Alain JuppĂ©.
Une consĂ©cration avec lâInterContinental Grand HĂŽtel de Bordeaux
Il faut dire que lâĂ©tablissement Ă©rigĂ© au XVIIIe siĂšcle est une merveille architecturale classĂ©e par les BĂątiments de France. Ne lĂ©sinant pas sur les moyens, il rachĂšte les immeubles jouxtant lâhĂŽtel pour multiplier la surface par six, tout en injectant des dizaines de millions dâeuros en travaux. Huit ans plus tard, en 2007, lâIntercontinental Bordeaux-Le Grand HĂŽtel est nĂ©. RĂ©sidence des stars de passage dans la ville Ă lâimage de Mariah Carey, CĂ©line Dion ou Johnny Depp, le palace est aussi un lieu de villĂ©giature prisĂ© des Ă©picuriens.
Et pour cause, le nouveau boss a rĂ©ussi Ă sâadjoindre les services dâune pointure internationale de la gastronomie, le chef multi-Ă©toilĂ© Gordon Ramsay et, plus rĂ©cemment, Ă faire entrer la maison Guerlain dans le spa. Une montĂ©e en gamme fulgurante. En tĂ©moignent les distinctions dĂ©cernĂ©es Ă lâhĂŽtel depuis lâĂšre Ohayon : depuis deux ans, le cinq Ă©toiles est aurĂ©olĂ© du titre suprĂȘme de « Meilleur HĂŽtel de France », devançant ses pairs parisiens du Ritz et du Bristol.
AprĂšs lâimmobilier commercial â le chef dâentreprise dĂ©tient aussi dans son escarcelle la gĂ©rance de 22 magasins Galeries Lafayette en rĂ©gion â et lâhĂŽtellerie de luxe, lâinsatiable Bordelais a surpris son monde en sâintĂ©ressant au spĂ©cialiste des jeux et jouets, la Grande RĂ©crĂ©. Michel Ohayon est convaincu dâune chose : « Pour moi, les pure players comme Amazon sont plus en danger que les commerçants de quartier ! », assĂšne ce pĂšre de quatre enfants.
« Regardez les alliances entre les plus Ă©minentes marketplaces comme Alibaba, qui noue un partenariat avec Auchan, Amazon avec Casino, ou encore Google avec Carrefour⊠Il nây a rien de surprenant Ă cela puisque les gens plĂ©biscitent de nouveau les boutiques de proximitĂ©. La livraison Ă domicile a montrĂ© ses limites, les villes sont Ă lâoffensive pour dĂ©sengorger le trafic arrivĂ© Ă saturation. Jâestime quâil est important de comprendre les grands mouvements sociologiques, cette hyper digitalisation nourrit une forte envie de revenir aux magasins physiques de quartier », abonde-t-il. Son discours clariïŹe donc sa stratĂ©gie de « revamper » une enseigne de plus si « bankable ». La dĂ©ferlante de lâe-commerce aura Ă©tĂ© presque fatale Ă la Grande RĂ©crĂ©.
Quand le milieu des aïŹaires voyaient en la Grande RĂ©crĂ© un gouïŹre ïŹnancier, le PDG sâenthousiasmait des implantations « exceptionnelles de la marque ancrĂ©e dans les centres-villes et de sa notoriĂ©tĂ© spontanĂ©e ». Et dâajouter que peu importent les conjonctures, « NoĂ«l restera toujours un grand rendez-vous de la consommation ». Michel Ohayon est de ceux qui prĂ©fĂšrent voir le verre Ă moitiĂ© plein. Son plan pour rĂ©inventer lâex-numĂ©ro un des jouets français ? Il le dĂ©cline Ă Forbes avec une conviction inĂ©branlable depuis lâIntercontinental Bordeaux-Le Grand HĂŽtel ; lĂ oĂč il est devenu prophĂšte en son pays.
DĂ©sormais la banniĂšre oïŹrira un nouveau concept de boutique. « Nous allons ouvrir des magasins de 4 000 Ă 10 000 mĂštres carrĂ©s, avec des centres de loisirs indoor pour les enfants, sâĂ©talant sur 400 mĂštres carrĂ©s, avec des espaces de restauration. Objectif : repenser le dĂ©cor, le service, lâexpĂ©rience client afin de vendre du rĂȘve. » En ligne de mire, des villes stratĂ©giques comme Boulogne, Marseille, Nice, et Paris, bien sĂ»r, pour accueillir ces « flagships ».
Michel Ohayon a une vision « phygital » puisquâil compte porter lâeïŹort aussi sur les ventes en ligne : « Nous sommes actuellement entre 8 et 10 % et voulons atteindre 15 Ă 20 % Ă prĂ©sent. Nous voulons Ă terme que notre boutique digitale reprĂ©sente le CA de 15 Ă 20 magasins », annonce-t-il. Souvent interrogĂ© sur les clefs de sa rĂ©ussite, Michel Ohayon aime Ă dire quâil faut « se questionner sur lâambition que lâon a vis-Ă -vis de soi-mĂȘme. Je dirais par ailleurs quâil faut 5 % de compĂ©tences, de talent, et 95 % de courage, de volonté ! Il faut se relever quand on Ă©choue ». Une philosophie qui devrait faire des Ă©mules.
Source Forbes