Une bonne blague dit que lâhumour juif fait rire avec des histoires Ă double sens quâon ne comprend quâĂ moitiĂ©. La dĂ©finition sâapplique probablement au film Mossad, concentrĂ© apparent dâautodĂ©rision.
Mossad, câest Ă©videmment le nom des services secrets dâIsraĂ«l, rĂ©putĂ©s parmi les plus efficaces du monde. Sauf quâici, le traitement se fait en pochade, pour ainsi dire Ă la OSS 117.
Elag Peleg, prĂ©sident fondateur de Daroma Productions, maison derriĂšre le long mĂ©trage, cite plutĂŽt Air Plane, Top Secret ou Naked Gun comme lointains modĂšles. «âLâhistoire est bĂątie autour dâagents du Mossad, mais aussi de la CIA, qui essaient de sauver le monde, explique le producteur, joint par tĂ©lĂ©phone en IsraĂ«l. Câest une parodie qui permet de rire dâun sujet sĂ©rieux. Notre film propose un autre point de vue sur le militarisme israĂ©lien.â»
La comĂ©die a Ă©tĂ© lancĂ©e fin juin et a vite battu le record du dĂ©part en salle le plus fulgurant de lâhistoire du cinĂ©ma du pays, tout en rivalisant avec dâautres longs mĂ©trages dâĂ©tĂ© comme Toy Story 4 ou The Secret Life of Pets 2. Le succĂšs repose en partie sur Tsahi Halevi, beau tĂ©nĂ©breux talentueux plus habituĂ© jusque-lĂ aux rĂŽles durs et sĂ©vĂšres, comme dans la sĂ©rie When Heroes Fly. Mossad est dĂ©jĂ le film le plus populaire de 2019 sur les Ă©crans du petit pays.Il est aussi dĂ©jĂ bien sĂ»r vendu Ă lâĂ©tranger, oĂč il rejoindra un paquet de productions israĂ©liennes allĂ©chantes pour le cinĂ©ma ou la tĂ©lĂ© sur une foule de rĂ©seaux de distribution rĂ©putĂ©s parmi les plus exigeants. On en retrouve partout, sur Amazon, Hulu, HBO ou Netflix, mais aussi Ă TĂ©lĂ©-QuĂ©bec et Ă CBC. Trois genres israĂ©liens se dĂ©marquent particuliĂšrement en ce nouvel Ăąge dâor mondial de la sĂ©rie tĂ©lĂ© de qualitĂ©â: la comĂ©die (Stockholm commence cette semaine sur Gem, la plateforme de streaming de CBC) et le drame (In Treatment, par exemple) bien sĂ»r, mais aussi et surtout le thriller dâespionnage, devenu un genre quasi impĂ©rial avec des succĂšs Ă la pelle, comme Prisoners of War, Fauda ou Mossad en dĂ©rision inversĂ©e.
Un miracle
Les ventes Ă lâĂ©tranger de productions israĂ©liennes ont rapportĂ© environ 335 millions de dollars en 2016. Comment expliquer ce miracle dans un pays plutĂŽt pauvre dâĂ peine neuf millions dâhabitantsâ? Par la qualitĂ© des scĂ©narios, du tournage, des comĂ©diensâ? Câest bien le minimum.

Ă lâĂ©vidence, les Ă©crans israĂ©liens sont dâautant plus passionnants quâils tendent un miroir plus ou moins dĂ©formant Ă leur sociĂ©tĂ©, elle-mĂȘme dâune complexitĂ© franchement folle. IsraĂ«l fait plusieurs grands Ă©carts en mĂȘme temps avec ses immigrants, riches ou pauvres, venus du monde entier, et ses dĂ©chirures idĂ©ologico-politiques allant du socialisme laĂŻque au sectarisme religieux de stricte obĂ©dience. Câest aussi un Ătat constamment menacĂ© dâentrer en conflit avec certains pays ou groupes ennemis plus ou moins proches. «âJe pense quâhabiter en IsraĂ«l, câest vivre des conflits chaque jourâ», a dĂ©clarĂ© leora Kamenetzky Ă la question de savoir pourquoi une si grande sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e avait vu le jour dans un Ătat aussi minuscule. «âCe nâest pas juste le conflit israĂ©lo-palestinien, câest un conflit entre les peuples, câest un conflit entre diffĂ©rents membres de la sociĂ©tĂ©. Et je pense que, depuis le jour de notre naissance, nous vivons un conflit. Et le conflit est la pierre angulaire du drame. Je veux dire, avez-vous dĂ©jĂ vu deux IsraĂ©liens se disputer une place de parkingâ? Cela peut aboutir Ă un meurtre.â»
Oleg Peleg enchaĂźne sur la mĂȘme idĂ©e concernant sa sociĂ©tĂ© sous tensions. Lui-mĂȘme a dĂ©jĂ une vingtaine de films de fiction et de documentaires Ă son actif, dont Between Worlds (2016) sur les relations entre une mĂšre et son fils victime dâune attaque au couteau et Alim adulim (2014) sur la vie difficile dâun immigrant Ă©thiopien. Il vient de mettre en chantier une sĂ©rie tĂ©lĂ© racontant une autre histoire impliquant un juif Ă©thiopien (Falasha) victime de discriminations.
«âLâatmosphĂšre est assez unique au monde ici, ajoute-t-il. Les Ă©normes tensions nourrissent un surplus de crĂ©ativitĂ©. Nous recevons des immigrants de partout dans le monde. Nous vivons tous ensemble, nous sommes tous passionnĂ©s par notre pays, mais nous sommes tous trĂšs diffĂ©rents, et cette diversitĂ© multiplie encore les tensions.â»
Une polyvalence
Le producteur ajoute une autre explication liĂ©e Ă une caractĂ©ristique nationale bien Ă©vidente dans lâingĂ©niositĂ© et lâinventivitĂ© du pays dans le domaine des nouvelles technologies. «âNous sommes une sociĂ©tĂ© dâentrepreneurs, dit M. Peleg. Ici, chacun pense quâil peut surmonter tous les obstacles pour arriver Ă ses fins. Cette culture se reflĂšte partout dans notre industrie. Le preneur de sons se dit quâil peut aussi devenir monteur, et il le fait. Cette polyvalence permet de rĂ©duire les coĂ»ts de production et de dynamiser Ă©normĂ©ment les plateaux de tournage.â»

M. Peleg en rajoute sur les conditions de production. «âJe ne suis pas riche, avoue-t-il. Chaque annĂ©e je me dĂ©bats pour soutenir de nouveaux projets. Ce contexte stressant est en mĂȘme temps stimulant. Il nous force Ă nous rĂ©inventer et Ă nous surpasser chaque annĂ©e. Il faut trouver les nouvelles excellentes histoires Ă raconter et de nouvelles maniĂšres originales de les raconter.â»
Le contexte national a aussi mutĂ© pour stimuler la crĂ©ativitĂ©. Les maisons de productions naviguent dâun Ă©cran Ă lâautre avec une poignĂ©e de grandes boĂźtes qui dominent le secteur des sĂ©ries. La maison Keshet a des bureaux de Los Angeles Ă Hong Kong. On lui doit par exemple The Beauty and The Baker, sur un triangle amoureux, une des sĂ©ries les plus populaires des derniĂšres annĂ©es.
Dans les annĂ©es 1980 et 1990, une partie du budget de soutien Ă©tatique au cinĂ©ma allait aux salles pour rĂ©server du temps dâĂ©cran aux productions nationales, et mĂȘme pour payer une partie des coĂ»ts de climatisation. Une nouvelle loi adoptĂ©e en 2001 a changĂ© de stratĂ©gie en haussant plutĂŽt de maniĂšre substantielle les subventions Ă la production.
Et le miracle sâest produit. En 2014, Zero Motivation est devenu le premier film israĂ©lien le plus populaire de lâannĂ©e au pays, surpassant mĂȘme les films de super-hĂ©ros amĂ©ricains. On saura fin dĂ©cembre si Mossad Ă©tablit un nouveau record.